Nous pouvons aujourd'hui constater les effets de la stratégie américaine dans le monde.
Dans un premier temps, il a y eu logiquement une expansion considérable des « technologies de l'information et de la communication ». L'Internet est venu amplifier encore ce développement à partir des années 1990.
En France, nos stratèges, influencés semble-t-il par l'idéologie saint-simonienne (Pierre Musso, Télécommunications et philosophie des réseaux. PUF, collection Politique éclatée, 2è édition, 1998), ont pensé que l'économie, portée par la vague des « nouvelles technologies », allait se spécialiser dans les services. On a parlé de « société de l'information », d'« économie des services », d'« économie de l'immatériel, » d'« économie du savoir », d'« économie de la connaissance », d'« économie post-industrielle » etc. On s'est mis à employer l'adjectif « virtuel » pour tout ce qui concerne les « technologies de l'information et de la communication ». La dématérialisation a même fait partie de la stratégie de beaucoup d'experts en développement durable, lorsqu'il s'agissait d'éviter l'usage du papier dans la gestion des flux physiques. On a parlé du « zéro papier », sans que la consommation globale de papier ne diminue pour autant. Le concept américain de perception management s'est montré remarquablement efficace avec les Français, réputés individualistes, à l'esprit cartésien mais aussi cloisonné.
Ce type de raisonnement, qui ressemble plus à une idée reçue ou à un mythe, a conduit notamment à des affirmations non argumentées, telles que celle-ci, qui figure dans le rapport TIC et développement durable de décembre 2008, établi par des membres du Conseil général de l'environnement et du développement durable et des membres du Conseil général des technologies de l'information : « Globalement, les TIC ont un apport positif pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (équivalents CO2) ».
Il y a eu depuis quelques années une explosion des données non structurées, connue sous l'expression Big data. Compte tenu de la consommation de métaux induite par l'usage des TIC, Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon ont clairement conclu que la dématérialisation était un mirage en termes de consommation de ressources (Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon, Quel avenir pour les métaux ? Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société, EDP Sciences, p. 51).
Pour autant, la consommation d'énergies fossiles n'a pas diminué. Les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter, notamment du fait de la forte croissance dans les grands pays émergents, et le risque de réchauffement climatique se confirme. L'empreinte écologique de l'humanité, qui avait atteint le niveau de la biocapacité de la Terre dans les années 1970, a atteint 130 % de la biocapacité de la Terre dans les années 2000.
La croissance économique n'a jamais été forte dans la plupart des pays occidentaux depuis la fin des années 1980, à l'exception de la période 1996-2001, où la résolution du problème de l'an 2000 et, en Europe, le passage à l'euro ont semble-t-il stimulé les investissements. À partir de 2007, le laisser-faire financier a conduit à la plus grande crise économique que l'Occident ait connu depuis la Grande dépression des années 1930, et les perspectives restent moroses en ce début d'année 2013. La mollesse de la croissance, voire la stagnation économique, a conduit à l'augmentation du chômage.
Les interventions publiques pour résoudre les problèmes des établissements financiers lors de la crise financière ont entraîné un surendettement inquiétant de beaucoup d'États occidentaux.
Concernant la résolution du problème des ressources naturelles qui était l'objectif initial, on constate que, du fait de l'effet rebond, la consommation d'énergies fossiles n'a pas diminué. Dans les pays émergents, elle a même fortement augmenté, avec les risques liés à la déplétion que cela entraînera lorsque le pic pétrolier surviendra. Les prix de toutes les ressources sont en augmentation, que ce soit l'énergie, l'eau, les produits agricoles, ou encore les métaux. Le plus préoccupant, pour le moyen et le long terme, c'est que le problème de raréfaction des ressources s'est globalement plutôt aggravé dans le monde.
Actuellement, les États-Unis n'ont presque plus de dépendance énergétique extérieure, en raison de l'exploitation de gisements de gaz non conventionnel (dont le gaz de schiste n'est qu'une partie), de pétrole non conventionnel, et le développement des énergies renouvelables, tandis que les réserves de charbon restent abondantes, et que le nucléaire continue de fournir 20 % de l'électricité. Cependant, les réserves d'eau s'amenuisent : le niveau de la nappe d'Ogallala baisse. Cette nappe, aussi étendue que la France, alimente en eau d'irrigation de vastes plaines agricoles.
En Europe, la dépendance énergétique extérieure s'est aggravée, à cause du tarissement des réserves de pétrole, de gaz, de charbon, de l'absence de pétrole non conventionnel, des difficultés à exploiter les gaz non conventionnels, et des réticences de certains pays européens à continuer à exploiter des centrales nucléaires, tout cela sur un territoire exigu. La politique énergétique de l'Union européenne s'est focalisée dans les faits sur la libéralisation du marché de l'énergie. L'Union a simplement imposé un quota d'énergies renouvelables pour 2020. Par ailleurs, le risque climatique s'est plutôt aggravé, en se manifestant par des alternances de sécheresses et d'inondations violentes. Du point de vue institutionnel, l'expression « développement durable » apparaît dans le traité d'Amsterdam mis en application le 1er janvier 1999. La stratégie de Lisbonne (2000) vise à préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance, au moyen de politiques répondant mieux aux besoins de la « société de l’information». Le problème de raréfaction des ressources n'était pas encore évoqué, et il n'y a pas encore de cadre cohérent pour réduire les risques à moyen et long terme qui y sont liés. La stratégie française d'économie des services a conduit à des délocalisations dans les pays émergents (ce que recherchaient les Américains), et à une forte diminution du poids de l'industrie dans la richesse nationale, sans pour autant qu'il y ait de diminution de la consommation de ressources. Ce phénomène a été heureusement moins marqué dans d'autres pays européens. Nous nous apercevons aujourd'hui de cette erreur stratégique (Jean-Louis Levet, Réindustrialisation, j'écris ton nom, Jean-Jaurès Fondation, 2012), et le gouvernement français a créé un ministère du redressement productif. Il semble que les techniques habiles de guerre de l'information des États-Unis (perception management) aient détourné nos dirigeants des véritables enjeux à long terme. Un espoir existe cependant avec l'initiative Matières Premières 2008 de la Commission européenne, et la consultation publique qui a eu lieu de juin à septembre 2010 dans les différents États de l'Union.
Les grands pays émergents sont ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu. La croissance économique reste forte en Chine, mais pour combien de temps ? La Chine a eu l'intelligence de mettre en place une stratégie d'économie circulaire, consistant à recycler massivement les ressources. Elle a également conclu de nombreux partenariats stratégiques dans le monde pour assurer les approvisionnements en matières premières. Pour subvenir à ses besoins alimentaires, elle a mené une politique systématique d'accaparement des terres dans de nombreux pays du monde, en violation des droits de l'homme. Cependant, la Chine et l'Inde sont confrontées à de graves problèmes environnementaux : les ressources en eau par exemple, pour l'agriculture dans les grandes plaines de Chine du Nord et du Pendjab notamment, sont limitées, et le niveau des nappes phréatiques baisse.
Un rapport du PNUE en 2010 et une étude de l'association des centraliens ont montré que le développement de nouvelles industries, en particulier des technologies de l'information et de la communication et des technologies dites « vertes » ont entraîné une forte augmentation de la consommation de nombreux métaux. Dans les années 1970, on consommait moins de 20 métaux. Aujourd'hui, on pioche dans presque toute la table de Mendeleiev et on consomme environ une soixantaine de métaux. Les réserves pour la plupart de ceux-ci sont aussi limitées, en nombre d'années de production, que celles du pétrole, soit souvent autour d'une quarantaine d'années. Les concentrations en métal des minerais diminuent, les techniques d'extraction sont très consommatrices d'énergie, et souvent polluantes (cas des terres rares) (Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon, Quel avenir pour les métaux ? Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société, EDP Sciences).