Saint Thomas d'Aquin (1224-1274), théologien chrétien
Description de la théorie des facultés de la scolatique
La théorie des facultés a été développée au XIIIe siècle par les philosophes scolastiques, et notamment par saint Thomas d'Aquin.
Elle repose sur l'identification, chez l'être humain, de sens externes, et de sens internes :
- les sens externes sont les cinq sens : vue, ouïe, odorat, toucher, goût ;
- les sens internes sont le sens commun, l'imagination, l'estimative, et la mémoire.
Évolution due à Descartes
En fait, le sens commun (sensus communis) a été remplacé par le bon sens avec Descartes, qui fut le premier à employer ce terme dès l'ouverture du Discours de la méthode : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Sans doute Descartes n'a-t-il pas très bien soupesé les conséquences potentielles de la révolution philosophique qu'il allait déclencher. Il n'a pas donné de définition de ce qu'il appelait le bon sens, et les phrases qui suivent l'emploi du terme dans le discours de la méthode sont assez obscures. Si l'on cherche à décoder les propos de Descartes, dans le contexte de son époque, on est amené à penser qu'il voulait dire que le bon sens finirait par l'emporter pour faire accepter le modèle héliocentrique de l'univers (le Discours de la méthode a été écrit en 1637, soit quatre ans après le procès de Galilée). Bien sûr, Descartes n'a jamais été explicite dans cette intention, car il craignait les foudres de l'Inquisition.
Descartes va faire reposer le bon sens sur les mathématiques : « à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons » (première partie du Discours de la méthode).
Descartes est aussi le premier qui ait engagé la réflexion philosophique en Occident vers la suprématie du sujet pensant (Cogito, ergo sum). Avec Descartes, c'est la naissance de l'individualisme.
Évolutions ultérieures
De nouvelles conceptions de la connaissance vont apparaître dans la continuité de la philosophie cartésienne. Spinoza, par exemple, dans le traité de la réforme de l'entendement, distingue quatre modes de perception :
- la perception par les sens ;
- la perception par l'expérience ;
- la perception par le raisonnement déductif ;
- la perception par l'intuition.
Il va résulter de cette révolution copernicienne un bouleversement dans les méthodes d'enseignement. On va surtout développer considérablement le raisonnement déductif. C'est ainsi que les enseignements de mathématiques ont pris une grande importance dans les enseignements secondaires et supérieurs en France, ainsi que dans la plupart des pays d'Occident.
Analyse de la conception moderne de la connaissance et comparaison avec celle de la scolastique
Il apparaît que la conception moderne de la connaissance est une conception surtout individualiste, dans l'esprit de la philosophie cartésienne. Par exemple, les modes de perception auxquels fait référence Spinoza sont avant tout propres à un individu.
On peut remarquer un certain contraste avec les sens internes de la scolastique qui, eux, peuvent s'envisager sur un mode collectif :
- le sens commun est par définition collectif ;
- l'imagination peut s'appuyer par exemple sur des œuvres d'art et s'envisager de manière collective ; on parle d'un imaginaire collectif ;
- l'estimative, capacité à évaluer par exemple des coûts ou des risques, peut aussi s'exercer de manière collective dans de grands projets ;
- la mémoire a aussi une dimension collective importante, à travers la perception commune des événements du passé.
En pratique, si j'examine mon expérience personnelle, je constate que j'ai été largement formé au raisonnement déductif au cours de mes études secondaires et supérieures, mais que ce type de raisonnement ne m'a pratiquement été d'aucune utilité pendant ma carrière. Je ne suis sans doute pas le seul. Bon nombre d'ingénieurs confirmeront d'ailleurs que ce qui leur a été le plus utile dans leur carrière, c'est la règle de trois !
Un point a été déterminant dans ma carrière : cela a été le choix du format de la date dans le seul développement informatique que j'aie effectué (voir la page Mon parcours). On voit que cette décision a été le fruit d'un échange entre mon analyste et moi-même. Cette décision n'a été le résultat d'aucun raisonnement déductif , seulement :
- du sens commun : retenir un format d'année communément admis dans l'Histoire ;
- de l'imagination : imaginer les nombreuses interfaces entre une application et les autres risquant de générer des incohérences ;
- de l'estimative : estimer la durée de vie d'une application à mettre en œuvre en fonction de celle de l'application qu'elle remplace ;
- de la mémoire : garder en mémoire une expérience dans un domaine, le nucléaire, où l'on attache de l'importance à la durée de vie d'un équipement.
Il apparaît donc que la théorie des facultés de la scolastique revêt un intérêt tout particulier.
Conclusion
La modernité a introduit une conception individualiste de l'intelligence, ce qui a totalement dénaturé le sens profond du mot. En effet, intelligence vient du latin interligere qui signifie lier entre. Il ne peut donc y avoir de véritable intelligence que collective.
La conception moderne de l'intelligence a conduit à former des ingénieurs qui sont devenus, à la suite de Descartes, des apprentis sorciers : ils ont perdu le sens des limites de leurs activités. Ils ont beaucoup de mal à percevoir les conséquences dans leur métier de tout ce qui relève de la finitude écologique de la Terre : les notions d'empreinte écologique et de biocapacité par exemple.
Heureusement, le développement de la Toile introduit une conception qui tend à revaloriser les liens entre les individus. Espérons que ces liens, encore virtuels, deviennent réalité entre les êtres humains.
La théorie scolastique des facultés connaît aujourd'hui une nouvelle jeunesse avec la psychologie des facultés du philosophe américain Jerry Fodor.
L'École polytechnique prépare une réforme de l'enseignement qui tendra à privilégier le raisonnement inductif par rapport au raisonnement déductif. Cela va a priori dans le bon sens.