Dans l'encyclique Laudato si', le pape François nous avertit que la « racine humaine de la crise écologique tient à la « globalisation du paradigme technocratique » (LS 101-114). Saint-Paul dit : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. ». (épître aux Romains, 12, 2). Nous sommes donc invités à changer de modèle. Je vois les pistes d'actions suivantes :
Approfondir la théologie de la Création
Pour bâtir notre « maison commune » nous avons besoin d'approfondir la théologie de la Création dans une perspective œcuménique et interreligieuse, en conciliant l'approche catholique (fondée à la fois sur les Écritures et la Tradition), l'approche orthodoxe (fondée entre autres sur les Pères de l'Église), et l'approche protestante (fondée sur la Bible), en examinant ce que pensent nos frères aînés juifs (oublier les vieilles querelles), nos cousins musulmans et les autres familles religieuses. Il faut se concentrer en priorité sur l'interprétation des chapitres 1 à 11 de la Genèse.
Il me paraît nécessaire d'approfondir la formation des prêtres et des pasteurs sur les questions de sauvegarde de la Création.et d'écologie intégrale. Il est souhaible de multiplier les initiatives Église verte dans les paroisses, de prier pour la sauvegarde de la Création, si possible de manière œcuménique.
Repenser la philosophie : métaphysique, relations entre économie, social et environnement
Dans l'encyclique Fides et ratio, saint Jean-Paul II affirme : « Il n'est pas possible de s'arrêter à la seule expérience; même quand celle-ci exprime et rend manifeste l'intériorité de l'homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose. Une pensée philosophique qui refuserait toute ouverture métaphysique serait donc radicalement inadéquate pour remplir une fonction de médiation dans l'intelligence de la Révélation » (saint Jean-Paul II, FS n° 83), nous avons besoin d'une métaphysique avec un principe premier, qui est celui d'un dieu créateur. Dans le christianisme, c'est Dieu le Père, qui s'identifie au dieu des juifs, Yahvé. Nous avons besoin d'une philosophie du développement durable s'appuyant sur des principes métaphysiques solides (non sur le sujet cartésien), et fondée sur une éthique de la responsabilité (cf Hans Jonas, Le Principe responsabilité), en revenant aux fondamentaux (la Bible, Aristote...).
Les philosophes des Lumières ont placé la liberté au sommet de la hiérarchie des valeurs, alors que le christianisme authentique voit dans l'amour le commandement suprême. Il faut donc replacer l'amour au sommet de notre hiérarchie des valeurs (cf André Comt-Sponville, Le capitalisme est-il moral ?).. C'est le sens de l'encyclique sociale Caritas in veritate de Benoît XVI, qui invite nos comtemporains à un « développement humain intégral ». C'est l'expression qu'a choisieBenoît XVI pour désigner ce que nos comtemporains appellent d'une façon quelquefois galvaudée le développement durable. Les adjectifs humain intégral lèvent d'éventuelles ambiguïtés sur les questions à caractère anthropologique qui se cachent derrière l'adjectif durable et derrière le sens même que nous donnons au mot homme, et à sa nature profonde,.
À la suite de l''encyclique Laudato si' du pape François sur la sauvegarde de la maison commune, nous prenons conscience que tout est lié (LS 16, 70, 91, 92, 117, 120, 138, 142, 240). Nous avons donc besoin de clarifier les relations entre les trois piliers du développement durable que sont l'économie, le social et l'environnement.
Repenser le droit, quid des devoirs ? abus du principe de justice commutative ?
Sauvegarder la maison commune, ce sont des droits, mais aussi des devoirs (Laudato-si' 38, 64, 67, 70, 78, 79, 159, 167, 178, 211). Il convient donc d'adapter le droit à cette nécessité nouvelle, en y incluant la notion de devoir. La France a commencé à le faire avec la Charte de l'environnement. Mais elle ne peut pas rester seule, sous peine de subir le dumping (moins-disance en français) environnemental et social des autres pays du monde et de courrir le risque de la désindustrialisation. Il serait bon que la France s'appuie sur son appartenance au conseil de sécurité de l'ONU, sur son statut de membre fondateur de l'Union européenne, et sur son réseau diplomatique pour pousser les autres pays du monde (notamment les Etats-Unis, la Chine, etc.) à intégrer dans leur systèmes juridiques les devoirs liés à la préservation de l'environnement et à la justice sociale. La France peut s'appuyer sur le projet de déclaration des droits de l'humanité élaboré en 2015 en marge de la COP21 et de l'accord de Paris sur le climat..
Il faudrait aussi examiner dans quelle mesure les penseurs libéraux (Adam Smith, Friedrich Hayek...) n'ont pas abusé du principe de justice commutative (fondée sur les échanges) au détriment de la justice distributive (fondée sur la répartition des richesses), à la lumière de la doctrine sociale de l'Eglise (Thomas d'Aquin, Somme théologque,...).
En France, on ne pourra pas non plus, à long terme, se passer de réévaluer les fondements du droit positif, qui repose actuellement sur le positivisme juridique de Hans Kelsen, Le système juridique français, qui a inspiré le droit dans un grand nombre de pays, est imprégné d'un esprit positiviste, qui le rend très fragile, notamment en ce qui concerne le manque de lisibilité sur les droits et devoirs, ou la prise en compte dans nos principes constitutionnels de la fraternité, troisième terme de la devise de la République française, qui implique des devoirs.
Repenser la politique
La question écologique ne peut pas rester l'apanage des partis écologistes ou même de la gauche. Tous les partis doivent se saisir de cette question.et la mettre dans leurs priorités immédiates. L'écologie ne doit pas devenir une nouvelle idéologie. En France, il me semblerait bon de fusionner le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental (CESE), comme l'avait proposé le général de Gaulle dans le référendum de 1969., en lui donnant comme objectif de s'intéresser plus particulièrement à des sujets de long terme.
Il faudrait aussi revoir les missions de la Commission européenne, et en particulier ce monopole de l'initiative, critiqué par Jean-Pierre Chevènement (cf La faute de Jean-Monnet, p. 57-58)..
Repenser l'économie
Il y a un double problème dans le système économique actuel :
- ce que l'on extrait du sous-sol (combustibles fossiles, minerais) est considéré comme gratuit ; seuls comptent les coûts d'extraction ;
- ce que l'on rejette comme déchets dans l'atmosphère ou le sous-sol est considéré sans conséquence.
Tout se passe comme si le système économique actuel ignorait la finitude écologique de la Terre.
Étant donné cette finitude, il serait hautement souhaitable de revoir les fondements de la valeur des choses en économie. Il faudrait faire un examen critique du rapport Stern (2006) et des conclusions de la Commission Stiglitz (2009). Il faudrait peut-être prendre en compte à côté des facteurs de production du capital et du travail, un troisième facteur : le capital naturel ou la terre. On aurait ainsi une correspondance avec les trois piliers économique, social et environnemental du développement durable Il serait en effet hautement souhaitable de définir de nouveaux indicateurs de rechesse, le Produit intérieur brut n'étant plus à même d'évaluer correctement la richesse. Il faudrait alors revoir les règles de calcul de la comptabilité nationale pour intégrer la triple performance environnementale, économique et sociale.des entreprises.
Il faut rappeler que l'utilité est un concept important, puisqu'il qu'il figure dans l'article 1 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». Or le concept d'utilité a été confisqué par l'économie. Il ne considère que les biens et services marchands, et ignore l'économie du don. Il faut une réflexion profonde impliquant de nombreuses disciplines (outre l'économie, la théologie, l'écologie, la philosophie, la psychologie, la sociologie, la biologie, le droit, ...) qui remette l'utilité en relation avec le bien commun, considéré comme un ensemble de valeurs à la fois environnementales, sociales, et économiques, et qui soit placé dans un cadre plus largement et plus clairement anthropologique.
Repenser les systèmes d'information
Dans l'informatique et les télécommunications, il est illusoire de penser que la dématérialisation permet d'entrer dans une dynamique de développement durable. Au-delà de simples recommandations de sobriété numérique, je propose de prendre en compte dans la comptabilité des entreprises la triple performance environnementale, économique et sociale. Pour cela, il serait souhaitable de réorganiser dans ce sens les informations structurées et les informations non structurées des entreprises, et en parallèle de restructurer la comptabilité d'entreprise en lui intégrant, à côté des informations économiques, des informations environnementales et sociales pertinentes. Il faudrait orienter dans ce sens la gestion des connaissances des entreprises, avec, dans les tableaux de bord prospectifs, des axes d'analyse pertinents (notion de knowledge map, ou cartographie des connaissances en français)..