Le phénomène des big data (mégadonnées)
On constate aujourd'hui une prolifération anarchique de ce que les professionnels de l'informatique appellent des « informations non structurées ». Il s'agit du phénomène connu sous l'expression « Big data » (mégadonnées en français). Outre que ce phénomène est particulièrement consommateur en ressources, il introduit un brouillage cognitif et pose de sérieux problèmes de sécurité des données. Les Big Data sont incompatibles avec le processus ITIL de gestion de la capacité. L'objectif principal de ce processus est la compréhension des besoins de l'entreprise et la transcription de ces besoins en capacité informatique. Les besoins de l'entreprise se déduisent des besoins et des attentes des clients et des autres parties prenantes. Besoins lorsque ceux-ci sont clairement exprimés par le client, attentes lorsque celles-ci ne sont pas explicitement formulées mais peuvent se déduire de l'analyse des enjeux sociétaux. Les besoins peuvent être facilement recueillis par les entreprises. En revanche, les attentes nécessitent des études très approfondies, qui ne peuvent être menées efficacement que par des associations d'entreprises (ORSE, Entreprises pour l'Environnement, pôles de compétitivité...) ou des organismes de recherche publique. On ne peut que constater ici le besoin d'une gouvernance d'internet, qui aurait de plus l'avantage d'éliminer les informations illégales, néfastes, ou peu utiles.
Sources ouvertes
Au niveau informationnel, il faut organiser et structurer les sources ouvertes qui, au-delà des aspects purement économiques, incluent d'autres dimensions, non seulement environnementales, mais aussi sociales, culturelles, linguistiques..., de façon à décloisonner les organisations. Ces sources, externes aux entreprises, doivent fournir des informations de contexte utiles aux entreprises et aux administrations dans la construction de leurs référentiels d'information.
Web 2.0
Il est possible d'organiser le travail collaboratif avec des outils d'informatique communicante (que l'on appelle souvent de façonun peu floue le Web 2.0, en d'autres termes une forme d'utilisation du Web dans laquelle l'utilisateur peut non seulement consulter l'information mais aussi la modifier).
Si nous prenons l'exemple de l'agriculture, et en se limitant à la France, les bonnes pratiques agricoles, le plan régional de l'agriculture durable, le plan de développement de l'industrie agroalimentaire, la gestion de l'énergie dans les exploitations agricoles, le programme national pour l'alimentation, les circuits courts, le plan de développement durable de l'apiculture, les appellations d'origine contrôlée sont des sujets parmi d'autres où l'on a besoin de partager des informations non structurées. Ce sont des champs d'application potentielle pour l'informatique communicante.
Pour se rendre compte qu'il existe de fortes affinités entre le web 2.0 et le développement durable, il suffit de faire une recherche sur la Toile sur "sustainable development" et "web 2.0" (250 000 résultats !).
Il faut imaginer des méthodes de travail collaboratif utilisant un ensemble d'outils connectés aux acteurs institutionnels des Etats-membres de l'Union européenne, ciblés sur les problématiques de développement durable (car environnement, social et économie sont liés), correctement modérés à partir de chartes bien définies. Il ne s'agit naturellement pas de n'importe quel type d'outils. Outre les systèmes de gestion de connaissance déjà cités, on peut penser à différentes générations d'outils : Wiki d'entreprise (déjà employé par de grandes entreprises), et plus généralement gestion de contenu, logiciels de groupe (groupware), réseaux sociaux d'entreprise (voir ci-dessous), systèmes de gestion des connaissances. Derrière ce flou sémantique que l'on retrouve souvent dans la terminologie des « technologies de l'information et de la communication » et qui est dû à un jargon informatique mêlant sigles et anglicismes, il faut se poser la question de la confidentialité des informations dès lors que ces outils sont accessibles aux parties prenantes externes concernées. Il faut donc qu'ils soient strictement sécurisés selon des normes européennes. La difficulté dans ce domaine est de gérer l'intégrité et la confidentialité des données par rapport aux acteurs internes ou externes de l'organisation. Il faut souligner à ce sujet une différence assez radicale de la culture de confidentialité entre les États-Unis et l'Europe, tout particulièrement la France, due aux conditions très différentes entre lesquellles les États-Unis et l'Europe continentale ont vécu la Seconde Guerre mondiale. Philippe Baumard, en parlant de l'échec de la théorie des réseaux sociaux, évoque une nécessaire discrétion du pouvoir local et du pouvoir collégial pour préserver l'ancrage de la production de connaissances dans des mécanismes institutionnels locaux et collégiaux (Christian Harbulot (dir.), Manuel de l'intelligence économique, PUF, 2012, p. 181). Discrétion ne signifiant pas secret, il faut aussi savoir partager les connaissances.
Une application possible dans le domaine de l'agriculture par exemple serait de créer une encyclopédie en ligne francophone de l'agriculture et de l'alimentation, accessible sur la Toile à tous les francophones équipés d'un accès à Internet, dans la mesure où celle-ci ne ferait pas double emploi avec la Wikipédia francophone (on peut le penser étant donné que la Wikipédia est très occidentalo-centrée). L'objectif d'une telle encyclopédie, si elle était développée dans les pays d'Afrique francophone par exemple ou dans d'autres pays pauvres, serait de lutter contre la faim, de favoriser l'agriculture traditionnelle de ces pays, donc leur souveraineté alimentaire, même si on se heurterait au problème du faible accès à l'électricité et du faible accès à Internet en Afrique surtout dans les zones rurales. Elle aurait logiquement tendance à freiner l'exode rural. Pour les pays francophones développés, l'avantage de cette encyclopédie serait de favoriser l'agroécologie, l'agriculture biologique ou durable, de revaloriser le métier d'agriculteur et de contribuer au développement des zones rurales oubliées de la mondialisation. Outre le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation (notamment la Direction générale de la Performance économique et environnementale des entreprises, mais aussi la DGAL, la DGER et la DPMA), les partenaires possibles d'un tel projet seraient les associations d'agriculteurs, l'Académie d'agriculture de France, le Groupe interacadémique pour le développement-Agri (GID-Agri), l'Institut national de la recherche agronomique, l'Agence française de développement, l'Organisation internationale de la francophonie (qui intervient au niveau international dans le développement local et solidaire et l'initiative Objectif 2030), les principales ONG de lutte contre la faim (CCFD-Terre solidaire et Action contre la faim) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) avec son Comité de la sécurité alimentaire mondial, qui a besoin de mieux prendre en compte les questions de nutrition.
Dans les grandes villes, les régions et les départements, il est possible de déployer des wiki territoriaux. La France est très en retard sur l'Allemagne dans ce domaine.
La société française XWiki est spécialisée dans le développement de wikis.
Une recherche sur la Toile sur "sustainable developement" et "wiki" remonte 3 580 000 résultats.
Il peut aussi s'avérer utile de lancer des réflexions sur l'application des réseaux sociaux d'entreprise et plus généralement des réseaux sociaux au développement durable.
On a pu constater, avec le mouvement des Gilets jaunes en France, que l'utilisation anarchique des réseaux sociaux peut engendrer de la violence. Il pourrait être avantageux que les communes françaises utilisent des réseaux sociaux dans le cadre des cahiers de doléance et du Grand débat national souhaité par le président de la République, mais il faut au préalable qu'elles disposent d'un site internet. L'Association des maires de France et surtout l'Association des maires ruraux de France (pour les communes de moins de 3 500 habitants) sont sans doute les meilleures structures pour diffuser les bonnes pratiques dans ce domaine. Les communes rurales peuvent utiliser le service campagnol.fr pour créer leur site internet avec des moyens réduits.
Les organisations qui se lancent dans une démarche de réseau social doivent fixer des objectifs et nommer un animateur de communauté (community manager en anglais).
Une recherche sur la Toile sur "sustainable development" et "social network" remonte 1 210 000 résultats.
Gestion des connaissances - Communautés d'intérêt et communautés de pratique
Le concept de communauté d'intérêt est particulièrement pertinent pour réorganiser l'économie. Mais nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, lorsque l'on pensait que les seuls agents économiques privés, guidés par leur seul intérêt personnel, et aidés en cela par une « main invisible », agissaient naturellement dans le sens de l'intérêt général (Adam Smith, La Richesse des Nations, 1776). L'État doit prendre ses responsabilités. Les administrations doivent piloter des communautés d'intérêt, et ceci à différents niveaux : l'Union européenne, les administrations centrales, les secteurs d'activité (généraliser l'expérience Construction21, site internet développé par le CIRIDD) et les pôles de compétitivité, les régions et les collectivités locales. Ce serait un levier très utile pour relocaliser l'activité et dynamiser les territoires, dans un esprit d'économie de ressources.
La gestion des connaissances (knowledge management en anglais) s'avère une discipline particulièrement prometteuse pour s'orienter vers un développement durable. Il s'agit de gérer des bonnes pratiques, des retours d'expérience, dans tous les domaines de l'économie, dans l'agriculture, les services environnementaux, etc.. La gestion des connaissances s'appuie sur des communautés de pratique, ainsi que sur la notion de cartographie des connaissances, ou carte des connaissances (knowledge map en anglais). Les cartes de connaissances permettent de partager des connaissances selon des axes de préoccupation. Il sera possible, dans un avenir proche, de greffer les cartes de connaissances sur les documents des entreprises ou administrations (fichiers Excel, bases de données, etc.) pour obtenir des tableaux de bord et piloter les grandes organisations.
Pour se rendre compte qu'il existe des affinités entre la gestion des connaissances et le développement durable, il suffit de faire une recherche sur la Toile sur "sustainable knowledge management" (18 700 résultats).
Toutefois les systèmes de gestion des connaissances sont souvent d'une génération plus ancienne que les systèmes web 2.0, et leur utilisation est soumise à des licences (cas de Microsoft Sharepoint). En outre, ce sont souvent des produits américains.
Web sémantique
Pour introduire une structuration du partage des informations, il peut aussi y avoir un aspect plutôt sémantique et un aspect plutôt de travail collaboratif en informatique communicante. Que ce soit pour le sémantique ou l'informatique communicante, il faut passer d'une logique quantitative, celle d'informations structurées en silo, à une logique qualitative, celle qui permet de partager de façon organisée des informations non structurées entre des entreprises étendues.
Le web sémantique devrait constituer le cœur des systèmes d'information futurs. Ce noyau sémantique est constitué d'informations de niveau surtout conceptuel. Remarquons que le noyau des projets de données ouvertes (Open data) est constitué par du sémantique (voir le projet français Etalab ou les systèmes dérivés de la directive européenne Inspire). Ce sont des données particulières, les métadonnées, qui permettent de structurer le partage d'informations dans les systèmes sémantiques. La France pourrait par exemple prendre l'initiative de construire une base sémantique multilingue sur les matières premières, à la suite de l'initiative Matières Premières 2008 de l'Union européenne.
Pour se rendre compte qu'il existe de fortes affinités entre le web sémantique et le développement durable, il suffit de faire une recherche sur la Toile sur "sustainable development" et "semantic web" (155 000 résultats !).
Toutefois, le veb sémantique présente l'inconvénient de ne pas pouvoir être modifié par l'internaute, de sorte que la mise à jour est réservée à quelques experts. C'est un système moins « démocratique » que le web 2.0.
Outils pour l'organisation des réunions
Pour les réunions entre décideurs, plutôt que d'utiliser les salles de téléconférence classiques à l'américaine, il est tout à fait possible de mettre en place, dans les entreprises ou les administrations, des salles équipées d'ordinateurs personnels connectés à des réseaux, avec échange vocal, ce qui serait probablement plus économique que d'autres solutions en apparence plus élaborées (salles d'opérations ou « war rooms » en Network Centric des multinationales américaines).
Logiciels libres
Il faut mentionner l'initiative de l'Adullact (Association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres pour les administrations et les collectivités territoriales) qui, autour du réseau Framasoft, a permis de développer depuis 2002 une palette de logiciels libres dans la zone francophone qui a inspiré, avec quelques autres expériences européennes, l'initiative Joinup de l'Union européenne (voir Joinup collaboration platform dans la Wikipedia anglophone). Ce sont des initiatives clés car elles encouragent la limitation (si ce n'est l'interdiction) des brevets logiciels en Europe et vont dans le sens d'une préservation de l'indépendance européenne en matière de logiciels.
Conclusion
L'essentiel n'est toutefois pas l'outil mais la finalité que l'on se donne et la nécessaire fidélité à des principes de développement durable, d'intelligence économique, et de sécurité de l'information : tout projet complexe devrait commencer par une étude préalable, avec un audit (incluant bien les trois piliers du développement durable : environnement, social, économique), et une étude de cadrage consistant à identifier les données manipulées (tant environnementales, que sociales et économiques), les services demandés (gestion de documents, messagerie, forums de discussion, gestion des actions projet, gestion des jalons, insertion d'images...), les acteurs internes et externes et leurs responsabilités (faire des glossaires bien documentés), et visant à identifier le ou les meilleurs outils qui répondent aux besoins des utilisateurs et aux attentes des différentes parties prenantes tant internes qu'externes.