Stratégie de puissance

 

Plusieurs États dans le monde ont une stratégie de puissance très active. Après un bref historique, nous analysons brièvement ci-dessous les stratégies de puissance de deux États : les États -Unis et la Chine, et présentons la situation en Europe, en nous focalisant sur la France, puis nous suggérons une manière de réagir.

Bref historique

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont imposés comme l'une des deux superpuissances mondiales grâce à leur mainmise sur l'Europe occidentale obtenue grâce au Plan Marshall (1947-1951).

Au début des années 1960, l'Informatique est devenue une donnée essentielle dans le processus de modernisation des pays développés. Le général de Gaulle appuya cette démarche par le plan Calcul et le lancement de l’entreprise Bull en partant du principe que la modernisation de l’outil industriel s’inscrivait à la fois dans le cadre de développement de la France et dans la préservation de son indépendance.

Stratégie de puissance des États-Unis

La stratégie de puissance des États-Unis, telle qu'elle a été élaborée après le traumatisme de l'échec de la guerre du guerre du Viêt Nam (1955-1975), a pour objectif la domination par la connaissance, dans tous les domaines (militaire, économique, environnemental, etc.). Elle s'appuie notamment sur la maîtrise des réseaux de communication mondiaux, devenus Internet vers les années 1980.

Selon un officier français (un brillant saint-cyrien) qui a travaillé avec les Américains lors de la Première guerre du Golfe en Irak (1991), la stratégie du gouvernement américain reposait en 2004 sur trois caractéristiques principales méconnues de la plupart des dirigeants français :

Cette stratégie, que je pense toujours actuelle même si elle a sans doute été encore raffinée par les Américains, fait l'objet d'un assez large consensus aux États-Unis, indépendamment de la majorité au pouvoir.

Christian Harbulot, directeur de l'École de guerre économique. a bien senti les aspects psychologiques de la guerre de l'information. Il me paraît sous-estimer les aspects techniques, qui se manifestent semble-t-il par une forte affinité entre le network-centric et les sites internet des grandes organisations internationales, telle qu'on peut l'entrevoir en consultant les liens suivants, obtenus par des recherches Google croisées entre network-centric et les grandes organisations en question : Nations unies, OCDEOrganisation mondiale du commerce, Banque mondialeFonds monétaire international, Chambre de commerce internationale, Programme des Nations unies pour l'environnement, FAO, Unesco, (à noter que les Etats-Unis sont sortis de l'Unesco le 31 décembre 2018), World Business Council on Sustainable Development, Organisation internationale du travail, Commission européenne (qui dispose du monopole de l'initiative dans l'Union européenne), etc. et même les grandes ONG environnementales comme le World Wildlife Fund Global Network, Friends of the Earth US et UK, Greenpeace International, l'Union internationale pour la conservation de la nature, etc. Il serait opportun que ces liens soient expertisés par des spécialistes européens de moteurs de recherche. Enfin, Christian Harbulot semble méconnaître l'importance accordée par les Américains aux théories économiques de Paul Romer.
 

Selon l'officier français que j'ai évoqué, qui savait de quoi il parlait puisqu'il avait travaillé comme consultant dans un cabinet de conseil anglo-saxon, les filiales françaises des grands cabinets de conseil anglo-saxons ignorent totalement cette stratégie du gouvernement américain : c'est l'un des aspects de la politique de perception management menée par les États-Unis. Toujours selon cet officier, certains pays européens (Royaume-Uni, et dans une moindre mesure l'Allemagne) sont parties prenantes de la stratégie réseau-centré américaine depuis les années 2000.

Le gouvernement américain pratique en outre une politique de protectionnisme visant à interdire dans les marchés publics les produits qui ne sont pas fabriqués aux Etats-Unis, une politique de soutien systémique à l'exportation des grandes entreprises américaines (advocacy policy), une politique de développement de normes internationales dans les techniques de l'information qui imposent leurs standards (comme la norme de commerce électronique ebXML). Les États-Unis usent de l'influence du dollar dans le monde. Ils usent aussi de leur influence culturelle, par l'hégémonie de la langue anglaise dans le milieu des affaires et la puissance de l'industrie du cinéma américain. Enfin, la suprématie des entreprises américaines dans le domaine des techniques de l'information est une évidence pour tous : on connaît l'acronyme GAFA, ou GAFAMI pour Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, IBM, auxquelles on pourrait encore ajouter Hewlett-Packard ou d'autres encore.

Les États-Unis n'ont pas adopté en 2010 la norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations.

Enfin, selon l'officier français dont j'ai parlé et dont je ne fais ici que relater les propos (était-il anticomplotiste ?), les États-Unis cherchent à « bloquer la France dans un ancien modèle ».

Stratégie de puissance de la Chine

La stratégie de puissance de la Chine est mieux connue. La force de la Chine, c'est le nombre et la discipline des masses ouvrières et paysannes liée à l'idéologie communiste. Dans la mentalité chinoise, la collectivité prime sur l'individu, et cela n'est pas seulement lié au régime communiste : c'est profondément ancré dans l'histoire de la Chine impériale. À la différence des occidentaux, les Chinois ne sont pas individualistes.

La Chine dispose aujourd'hui d'ingénieurs qui se sont formés dans les meilleures universités américaines et européennes, et qui ont atteint un niveau intellectuel qui leur permet de rivaliser avec les Américains et les Européens, même dans des domaines de très haute technicité comme le spatial ou la construction d'ordinateurs.

La stratégie chinoise consiste à s'enrichir en produisant beaucoup. De la sorte, elle acquiert d'énormes quantités de devises qui lui permettent d'acquérir la technologie occidentale par des transferts de technologie (on le voit avec l'EPR ou l'Airbus), et elle achète des terres dans de nombreux pays du monde, en particulier en Afrique, pour nourrir son énorme population (avec 10 % des terres agricoles, la Chine doit nourrir 20 % de la population mondiale), par le phénomène d'accaparement des terres.

La Chine vise la suprématie mondiale avec le développement de la Nouvelle route de la soie, gigantesque réseau d'infrastructures portuaires, ferroviaires et terrestres qui s'appuie sur un réseau d'environ 145 pays membres (source Wikipédia 2020). 

Cependant, les impacts environnementaux des industries chinoises sont considérables. La mentalité chinoise, très différente de la mentalité d'origine judéochrétienne de l'Europe et des États-Unis, conduit les autorités à engager des projets sans vraiment se soucier de leur impact sur les populations. Malgré tout, les Chinois ont commencé tout récemment à prendre conscience des problèmes environnementaux. C'est pourquoi la Chine a adopté en 2010 la norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations.

 

Et en Europe ?

La situation en Europe est très complexe : la question de savoir s'il faut une Europe fédérale ou une Europe des nations laissant davantage de libertés aux États membres est l'objet d'âpres débats. Le traité de Maastricht, pourtant adopté en 1992, le plus souvent par voie parlementaire, quelquefois par référendum (France, Danemark, Irlande) est contesté par des partis politiques dans toute l'Europe. Par ce traité, les États membres ont transféré une partie de leur souveraineté à l'Union européenne, notamment la monnaie. Le traité établissant une constitution pour l'Europe (2004) a été rejeté par la France, avec une assez nette majorité, et par le Danemark. Je pense personnellement que le projet de texte était illisible. Le traité d'Aix-la-Chapelle introduit une convergence des politiques économiques, étrangères et de défense entre la France et l'Allemagne, ainsi qu'une coopération parlementaire renforcée. Il faut ajouter à cela que la Commission européenne, non élue par les citoyens européens, dispose du monopole de l'initiative. Son rôle est d'ailleurs essentiellement d'entériner au niveau européen les traités internationaux pour les transformer en directives européennes ou en règlements européens.

La France peut difficilement se passer de l'Union européenne si elle veut peser sur la scène internationale, mais la question de l'unification de l'Europe reste un sujet délicat, étant donné la diversité linguistique et culturelle des pays européens.

Sur le plan de l'intelligence économique et stratégique, on notera que le concept de préférence communautaire n'est pas une réalité économique, sauf en matière de politique agricole commune où il a été consacré par la Cour de justice des Communautés européennes le 13 mars 1968. Ainsi, il n'a pas été possible pour l'instant de créer un véritable champion européen dans le domaine informatique, le groupe Bull ayant été sommé par l'Union européenne de rembouser ses dettes et ayant dû pour cela revendre une grande partie de son activité (les services). On ne peut pas dire qu'il existe un pendant à la stratégie américaine dans ce domaine vital très lié à la responsabilité sociétale des entreprises. Dans le domaine aéronautique et spatial, où la France est leadeur en Europe, la coopération inter-États a eu beaucoup de résultats : Airbus qui concurrence Boeing, Ariane qui concurrence la NASA et bientôt Galileo qui va concurrencer le GPS américain. Par contre, dans le domaine nucléaire, la coopération esquissée sur le projet de réacteur surgénérateur Superphénix entre la France, l'Allemagne et l'Italie n'a pas eu de suite à l'échelle européenne, l'Allemagne et l'Italie ayant quasiment abandonné le nucléaire. Le projet Astrid de réacteur de génération IV n'est qu'un projet français. Le véto de Bruxelles au projet de fusion Alstom-Siemens montre que le droit de la concurrence européen est inadapté au contexte mondial.

Sur le plan du développement durable et de l'environnement en général, en France, la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001, qui demande aux entreprises de prendre en compte les conséquences sociales et environnementales de leurs activités (article 116), a donné des résultats modestes. Cette loi n'a semble-t-il pas été interprétée par les entreprises comme je le pensais (voir la page Avantages de la RSE de mon site). En effet, après la parution de la loi, les grandes entreprises ont en général nommé leur directeur de la communication directeur du développement durable pour produire des rapports de développement durable, de sorte que l'on a plus communiqué que l'on n'a réellement pris en compte les conséquences sociales et environnementales de l'activité dans le fonctionnement interne des entreprises. Le comité d'entreprise, devenu le comité social et économique le 1er janvier 2018, est seulement consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise, et en pratique très peu sur les questions environnementales dont l'importance semble sous-estimée. De fait, les informations environnementales qualitatives (informations non structurées) sont sous-estimées et peu mises en relation avec les autres informations. La production des rapports de développement durable ne revêtait aucun caractère obligatoire au moment de la parution de la loi. Plus généralement, le droit de l'environnement français peut être du droit mou (lois dont l'application n'est pas obligatoire), ce qui entraîne une certaine incohérence avec la Charte de l'environnement qui introduit la notion de devoir dans la constitution (article 2 : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement »).

La France a mis en place dans les années 2003-2005 une politique publique d'intelligence économique sous l'impulsion du député UMP Bernard Carayon, et a créé, en 2004, 71 pôles de compétitivité. Toutefois, la cohérence et la continuité des efforts en matière d'intelligence économique se heurte aux alternances politiques.

Comment réagir ?

Il est illusoire de penser que les techniques de l'information et de la communication ont une empreinte environnementale négligeable (voir dans la Wikipédia francophone Dématérialisation / Aspects environnementaux). Il est donc permis de douter que, comme le prétend Paul Romer, la connaissance puisse se substituer comme par enchantement à la rareté des ressoures naturelles, et serait une ressource infinie ! Cette posture, qui certes procure aux États-Unis la suprématie dans le domaine des techniques de l'information, oublie que si tout le monde vivait selon le mode de vie d'un Américain du Nord, il faudrait six planètes comme la Terre pour nourrir tous ses habitants.

Depuis 2014, le gouvernement français et le Medef prônent la transformation numérique, mais on perçoit mal les concepts et les réalités techniques sous-jacents (en dehors du cloud computing). Pour respecter les accords de Paris sur le climat de 2015, il faut s'assurer que la transformation numérique prônée dans les grandes entreprises et les administrations en France est compatible avec une nécessaire sobriété numérique, étant donné que la part des émissions de CO2 liées au numérique est d'environ 5 % du total des émissions de CO2 et est en forte croissance, selon un rapport d'octobre 2018 du think tank français The Shift Project, présidé par Jean-Marc Jancovici, expert dans les questions d'énergie et de climat..

Face à la politique du gouvernement américain, qui mène de toute évidence à une impasse étant donné qu'elle considère les connaissances, donc les ressources liées, comme inépuisables, face à la politique de la Chine qui est une impasse environnementale, il est de notre intérêt de passer à un nouveau modèle, un nouveau paradigme, dans lequel chaque internaute puisse contribuer à la Toile (Web participatif), sur des outils où l'information est exprimée en langage naturel (c'est-à-dire en langage ordinaire). Les enjeux de la valorisation des informations non structurées exprimées en langage naturel dans ce que l'on appelait encore en 2007 le Web 2.0 sont, pour les entreprises et les administrations :

(réf. : APIL, Aproged, Cigref, Livre blanc - Valorisation des informations non structurées, octobre 2007, p. 15-16).

Cependant, le Web 2.0 est un concept assez flou. On parle quelquefois de web participatif. Je pense en particulier à des outils de type Wiki, présentant des fonctionnalités de pages de discussion (permettant le débat contradictoire) et de gestion d'historique (permettant la traçabilité des contributions) comme dans Wikipédia, et présentant en outre des fonctionnalités de forums et d'actualités. De tels outils sont très puissants : ils permettent de gérer des informations non structurées à caractère environnemental, social, économique etc., de créer des liens entre ces informations, d'éviter les resaisies. Bref, il s'agit d'outils qui peuvent être utilisés comme des techniques de maïeutique, pour décortiquer les sujets complexes comme les problèmes écologiques et sociaux.

Ces dernières années, on a compris que les réseaux sociaux sont facilement manipulables et qu'on peut y trouver beaucoup de fausses informations (fake news en américain). La Toile n’est pas le paradis de la transparence que l’on s’imaginait. C'est pourquoi, dans notre intérêt, et surtout dans celui de la planète, il convient d'utiliser les systèmes numériques de manière responsable, en innovant certes, mais en alliant la gestion des informations non structurées, constitutives de la connaissance, et procurant des avantages compétitifs, à la responsabilité sociétale des organisations, conciliant le respect de l'environnement, l'équité sociale et la rentabilité économique (norme ISO 26000). Les administrations et les entreprises en France, à tous les niveaux, doivent prendre une part active à cette politique de responsabilité sociétale.

Les possibilités que j'entrevois sont décrites dans la page innovation responsable.de mon site pour ce qui est des perspectives générales, et dans la page agriculture et alimentation, pour ce qui est de ce domaine plus particulier.

La situation que nous vivons résulte en partie d'un certain aveuglement des élites françaises sur ce qui se passe à l'extérieur de l'Europe, ou même dans certains pays européens.

Il serait hautement souhaitable que les États-membres de l'Union europénne se mettent d'accord sur une politique qui mette fin à la concurrence fiscale de cetains pays comme l'Irlande (ou quelques autres) qui appliquent un taux d'imposition sur les sociétés particulièrement avantageux pour les GAFAM. On voit se développer dans la capitale de l'Irlande le « Silicon Dock », où se trouvent les sièges européens de nombreux géants américains du Web. En parallèle, il faudrait définir une stratégie de développement européenne dans le domaine numérique, en s'appuyant par exemple sur les pôles de compétivité français dans ce domaine (pôle de Saclay consacré aux systèmes complexes, entre autres). Il faudrait créer un « écosystème » européen concurrent aux GAFAM (ou GAFAMI), en s'appuyant sur des savoir-faire européens : par exemple ATOS qui a repris Bull, ou des moteurs de recherche européens concurrents de Google, entre autres. En deux mots, il faudrait mettre en œuvre une véritable politique de souveraineté numérique à l'échelle de l'Union européenne.

Bibliographie

  • Éric Denécé, Claude Revel, L'autre guerre des États-Unis, Économie : les secrets d'une machine de conquête, Éditions Robert Laffont S.A., Paris, 2005
    Les systèmes network-centric sont abordés succinctement page 58 (bien que non nommés ainsi).